De Littérature en Aventure
Après la lecture des romans de Mauriac, j'ai eu envie d'aller me promener dans les décors, ressentir l'ambiance et le temps qui passe. Mardi dernier, en route donc pour la forêt des Landes. Entre Gironde et Landes, le paysage se moque souvent des frontières administratives...
Premier point de chute: Argelouse. Et d'emblée me voilà hors du temps ! Je m'attendais à un gros bourg, et je découvre un tout petit hameau, à l'écart des axes de circulation, encerclé de forêt, en surplomb de la vallée de l'Eyre qui coule à quelques centaines de mètres. Une vieille petite église à l'architecture singulière veillant sur le petit cimetière, trois grosses bâtisses dont l'une est la mairie, avec leurs petites dépendances de bois, posées sur leur clairière de prairie. Pas un chat, des volets clos, seules quelques voitures stationnées signalent l'habitation des lieux.
La porte de l'église est ouverte. J'ose à peine respirer dans ce lieu intime, je m'attends à tout moment à voir surgir une autre présence humaine qui viendrait voir ce que cherche cet étranger...! Je détaille des peintures agréables au plafond. Le silence se prolonge, confirmant ma solitude. Je m'enhardis à gravir une échelle, plus qu'un escalier, de bois qui mène à un petit balcon. Puis une autre échelle, conduisant sous les toits. Mais je n'ai pas poussé plus loin mon investigation, le noir était total, et l'impression d'être un intrus persistait un peu.
En ressortant sous le petit porche, j'ai résisté à la tentation de tirer les cordes pour faire sonner les cloches...
Le reste de la commune, comme me le montre ma carte Top 25, se compose d'autres hameaux perdus dans la forêt, desservis par des pistes et des chemins. Tout à fait là où j'imaginais la demeure des Desqueyroux.
J'emprunte la Piste de Tambourin, qui s'enfonce sous les pins. Les hautes herbes à son début montre qu'elle n'est pas souvent empruntée. Et pourtant, au bout de 500 mètres, de petits panonceaux "Propriété privée - Entrée interdite" refoulent l'humble promeneur. Comme au temps de Mauriac, les grands propriétaires terriens ont besoin d'hectares inutilisés...
Je n'ai pas bravé l'interdiction. Les bergeries, les faisanderies, les ruines et les habitations indiquées sur ma carte ne vivront donc toujours que dans mon imagination. Ressemblant peut-être à celle-ci, au bord d'une petite route.
Je n'avais cependant pas envie d'interrompre déjà ma promenade forestière. J'ai donc quitté la piste et coupé dans le sous-bois, en direction de la rivière. Soudain, derrière un bouquet de fougères, la berge est là. La Petite Leyre aux eaux rousses serpente en petits méandres entre les dunes boisées. Au dessus de son cours tranquille et sauvage, les cimes des arbres se resserrent, se penchent. La forêt-galerie veille sur cette veine irriguant ce sanctuaire de forêt sauvage. Les pluies récentes ont par endroits raviné la berge, déracinant des arbres qui barrent le cours d'eau. Loin des regards et des sentiers, l'Homme ne viendra pas bientôt les enlever: ils sont des ponts, des promontoires, pour la faune et le promeneur égaré.
Après un déjeuner froid rapide, j'ai décidé de revenir à mon point de départ en remontant la rivière sur un petit kilomètre, jusqu'à un petit pont en amont, la route au bord de laquelle j'ai laissé ma voiture.
Il n'y a pas de sentier, à peine des traces d'animaux, mais la berge me paraît assez dégagée pour y marcher. Tout va bien durant les premières centaines de mètres, je n'ai qu'à contempler les vues sur l'eau, sans cesse renouvelées par les méandres et la végétation luxuriante.
Je bute sur un premier taillis. Mais j'aperçois par transparence la berge de nouveau dégagée à une vingtaine de mètres environ. J'avance donc, écartant des branches, soulevant des ronces, enjambant des souches. M'accroupissant parfois, rampant presque, sous des buissons aux branches inextricables. Mais je finis par m'extirper des broussailles, en sueur, un peu griffé. Là j'apprécie vraiment la petite vallée fraîche, sans un son humain aux environs. Je récupère, j'observe, et je repars sur la rive.
Pas plus d'une centaine de mètres, et voilà un autre taillis...
Il a l'air plus épais et plus étendu que l'autre, mais je décide de poursuivre l'aventure. Ici, au moins, ce n'est pas privé... ou alors, à moi !
J'écarte, je casse, je me baisse, j'enjambe. Rapidement, je me retrouve cerné de fougères plus hautes que moi, de buissons touffus et épineux, de ronces en longues lianes perverses qui s'accrochent à moi par un bout quand je me dégage de l'autre. Je ne distingue plus le sol sous les hautes herbes, les feuilles et les aiguilles. Je ne distingue plus la rivière, je m'en éloigne, même, cherchant les passages ou la végétation est un peu moins dense. Je me griffe de plus en plus. Je me sers de mon sac à dos comme d'un bouclier pour avancer, pas à pas, dans ce fouillis végétal un rien hostile... Je transpire. Au bout d'un quart d'heure, je songe à faire demi-tour, mais là je suis certain de la difficulté du chemin... Je continue donc, j'essaye de garder au moins une direction. Mais je suis souvent obligé de faire des écarts, de louvoyer, de revenir même parfois sur mes pas. Griffures, trébuchages, chutes. Au bout d'une demi-heure, je suis un peu découragé, mais que faire. Il faut bien que je sorte de là ! Je regarde bêtement mon téléphone portable comme s'il pouvait me téléporter, mais il n'y a pas de réseau de téléphonie mobile, ici...
Allons, quel piètre aventurier ! Je me ressaisis et je repars. Après une autre demie-heure de contorsions et d'éraflures, j'atteins un espace plus dégagé où seules les fougères gênent ma progression. La forêt partout, mais j'arrive à m'orienter. Cinq minutes encore et je retrouve les berges de l'Eyre, de nouveau dégagées. Ouf ! Je bois une grande rasade d'eau et me repose. J'identifie le méandre de la rivière sur ma carte: il m'aura donc fallu plus d'une heure pour n'avancer que de deux à trois cents mètres !
Mais je suis assez fier de moi... J'ai traversé la jungle sauvage des Landes, que l'on croit partout si entretenue ! Peu de personnes ont eu et auront le loisir d'admirer le paysage exact que je suis en train de vivre... J'apprécie vraiment cet instant, seul au coeur du sauvage. La beauté du sous-bois et du lit libre de la rivière sont ma récompense.
J'aurais bien aimé voir aussi de gros animaux, chevreuils ou sangliers, mais j'ai du être trop bruyant ! Par contre, je me suis frotté à de nombreux moustiques qui m'ont dévoré. Et j'ai eu beau enlever régulièrement des dizaines de tiques de mon pantalon, deux ont réussi à venir boire aussi mon sang, se fichant dans ma peau sur la cuisse et la cheville.
Plus sympathiques, des libellules bleues m'ont offert des ballets aériens légers, et de curieux insectes au bleu lumineux ont coloré mon chemin.
La Petite Leyre m'a ensuite conduit sans encombre jusqu'au pont. J'ai poursuivi un peu de l'autre côté avant de revenir à ma voiture. Mon exploration des broussailles m'a obligé à restreindre un peu la suite du circuit que j'avais prévu. J'ai rejoint Sore, par des détours, mais je n'y ai fait qu'un bref arrêt, le temps de quelques photos. Une belle demeure où j'ai imaginé Thérèse Desqueyroux. J'ai délaissé le circuit aménagé au bord de l'Eyre... je venais de la quitter, dans sa vraie nature. Mais je reviendrai peut-être.
Toujours par des détours et des routes secondaires, je suis arrivé à Saint-Léger-de-Balson, et la fontaine Saint-Clair... La route récemment élargie où passent en ronflant des poids lourds ne laisse rien de la calme ambiance des romans de Mauriac. Pourtant, le village lui-même, au centre, permet de l'imaginer. Je n'ai pas rejoint, comme je le pensais, les ruines du Castelnau de Cernès indiquées sur ma carte, mais pas depuis le village. J'ai fait quelques pas au bord de La Hure, petite soeur de l'Eyre, où Mauriac aimait lire.
J'y ai été témoin de la sollicitude rurale. La cime d'un gros chêne âgé, peut être fragilisé par le vent et les pluies, s'est abattue à une cinquantaine de mètres de moi dans un énorme fracas. Une dame que j'avais croisé dix minutes plus tôt n'a pas hésité à revenir sur ses pas, à ma recherche, inquiète, criant "Monsieur ! Vous êtes vivant ?". Cela m'a touché. Je l'ai rassurée, lui ai montré l'arbre qui avait perdu la tête. Elle m'a dit que les chutes d'arbres étaient fréquentes ici.
Vu ma journée aventureuse, je n'ai pas tenté le sort et suis retourné dans le village pour de dernières photos.
Dernière étape juste à côté, à Saint-Symphorien, où Mauriac a passé une partie de son adolescence. Là aussi juste le temps de quelques photos dans le bourg, la place aux platanes et le Chalet Mauriac dans son écrin forestier.
Autour de Saint-Symphorien, un circuit pédestre François Mauriac d'une dizaine de kilomètres. J'y reviendrai, avec Seb, qui dans ses rares lectures avait lui aussi aimé Thérèse Desqueyroux.
Le chemin sera sûrement mieux balisé...