Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Pays d'Olivier, l'Arbre et le Net
Archives
4 juillet 2008

Volte et Chaloir

Une attitude...
"Merci, c'était très intéressant !" me suis-je fendu dans un grand sourire en quittant l'IRTS et cette bonne-femme à qui j'aurais bien fait manger son (mon) dossier...

Avant de le raconter, cet entretien aura eu au moins l'effet bénéfique de me remémorer certains regards que l'on a déjà portés sur moi. Et d'alimenter un peu cette catégorie Mémoires de détails qui parsèment son résumé de départ...

Dardilly, dans la banlieue lyonnaise. 1997.
C'est ma première année de BTSA Aménagement du Paysage, en internat. Internat qui est plutôt une pension complète. Tous les repas se prennent au réfectoire du lycée, le bâtiment des chambres des BTS est aussi dans l'enceinte du lycée, mais sans aucune surveillance nocturne. Normal pour de jeunes adultes...
C'est un lycée agricole, et la section Paysage, à peine sortie de son appellation Jardins et Espaces Verts, attire surtout les garçons. Des garçons qui viennent surtout des sections techniques (CAP, BEP, BTA), aux loisirs bruts. Tout ce petit monde se retrouve dans notre bâtiment pour la première fois loin du cocon familial. Les majorités sont neuves de une à trois années. Bref... Dans ce bâtiment, tous les soirs, c'est la fête ! Toujours au moins une chambre où sautent les capsules de bière... Cette ambiance mériterait bien des détails, mais ce n'est pas aujourd'hui l'objet de mon souvenir.

Face à cette liberté nocturne apparentée au monde estudiantin, les journées de cours, dans un lycée, dispensés en partie par des profs de lycée, sont assommantes de scolarité. Contrôles des absences, interrogations écrites, orales, récitation immédiate exigée... Du moins pour les matières générales du tronc commun des BTS. Faisant partie de la poignée de ma promo issue du bac général, ayant traversé cette scolarité avec beaucoup de facilité, je retrouvai l'ennui de la première place (que je n'ai cédée qu'en première pour la deuxième, et en terminale pour une fluctuation dans le premier tiers). Cependant, je l'abordai un peu différemment, m'estimant cette fois en droit de n'apporter mon attention qu'aux savoirs qui m'étaient utiles. Cette attitude m'a valu une sérieuse altercation avec la prof d'anglais. Pris en flagrant délit de n'avoir pas fait un travail qui ne m'aurait rien apporté, elle s'est crue autorisée à me dire que j'avais un poil dans la main, et m'a harcelé de remarques désobligeantes durant les deux heures de cours. Peut-être avait-elle besoin, comme souvent, de compenser son propre poil en exposant à la promo, sans mon autorisation, des exemples pédagogiques piochés dans mes disserts (genre un  "amazing and amazed" dont j'ai totalement oublié le contexte). J'avais tenu les deux heures, mais je suis allé lui dire le fond de ma pensée à la fin du cours, avec l'intensité induite par mes deux heures de rumination (bé oui, moi je ne voulais pas la rabaisser devant tout le monde...).

 

La seule nouveauté concernant les matières générales était les cours de communication. Je les abordai avec  circonspection. J'avais (et j'ai toujours...) en horreur l'idée qu'il n'y a qu'une seule et bonne manière pour être entendu...

 

 

Un souvenir en entraînant d'autres, remontons au lycée du bac, en seconde trois ans plus tôt. Marie-Josèphe, prof de français sainte-nitouche, hypocrite et méprisante envers cette classe qui se destinait majoritairement à la section scientifique, avait bien du mal à nous faire apprécier ses jeux de mots d'un autre âge et son adoration de la culture classique décortiquée en commentaires immuables... La voilà qui m'interroge... "Je n'ai pas trouvé" lui dis-je... (comprenez: "je ne suis pas certain d'avoir le même sentiment que vous à la lecture de ce texte, cette construction pourrait très bien aussi révéler autrechose, mais je suis bien incapable de vous l'exposer succintement et clairement devant le groupe, surtout si vous attendez de moi que je serve de locomotive à votre discours. De plus, hier soir à la télé c'était le premier sidaction, j'ai bien d'autres choses en tête").
"Et bien cherchez !" m'ordonne-t-elle. Autant me dire que j'ai un poil dans la main... Je lui réponds: "C'est du français. Si je vous dis que je n'ai pas trouvé, c'est que j'ai déjà cherché". Et me voilà viré de cours pour la première et unique fois de ma vie: "Oh...! Quelle insolence !".
A cette époque, j'avais cédé au conformisme, à la comédie, d'aller présenter des excuses à la fin du cours, mentant honteusement...

 

 

 

Mais revenons au BTS et son sujet principal, les matières techniques et l'enseignement professionnel.

Là, ça m'intéressait. Je découvrais tout: cartographie, topographie, reconnaissance des végétaux, utilisation des végétaux, conception paysagère, dessin technique, réglementation territoriale, maçonnerie, réalisation de sols, gestion d'entreprise...

Les intervenants manquaient parfois de pédagogie, mais nous fournissait toujours des informations denses, des exemples concrets. Mais la densité des informations, pour un élève issu de section généraliste, était telle, qu'il était pour moi inconcevable d'en ingérer la totalité en une ou deux années. Je conservais donc mon attitude, sélectionnant les informations prioritaires, remettant d'autres acquisitions à plus tard, me projetant dans une pratique ultérieure et réelle. Mon projet était alors de devenir architecte-paysagiste (tout ce qui m'en a détourné depuis est au début de Mes Leçons de Paysage). Je m'autorisais donc aussi à sélectionner mon volume d'heures de cours. Il m'arrivait ainsi fréquemment de disparaître entre deux heures de théorie de mise en oeuvre de travaux (l'étude des polycopiés en solo me suffisait) et de zapper carrément les travaux pratiques. Je n'aurais pu que regarder ceux, majoritaires, qui avaient déjà effectué des travaux en entreprise, qui n'auraient pas laissé un empoté s'y essayer... Je regardais donc depuis la fenêtre de ma chambre, clope au bec, parfois un petit joint, la pose des clôtures ou de canalisations, les pavages, la plantation de végétaux ou la taille des massifs. Entre deux bouquins ou deux chansons...

 

Mon meilleur pote de promo, c'était Geoffroy. Lui provenait d'un parcours technique (BEPA, BTA), et se destinait à créer son entreprise de travaux paysagers. Ce sont donc les matières techniques qui lui semblaient une redite à la fois inefficace et insuffisante pour les novices. Quant aux matières générales, elles ne l'avaient jamais intéressé, cela n'allait pas changer. Pour des raisons à la fois semblables et différentes des miennes, il se trouvait dans une attitude proche. Cependant, lui n'aurait jamais osé zapper les cours (ni inventer les fadaises qui vont avec). En revanche, sa présence se limitait le plus souvent à fomenter de monumentales critiques, assaisonnées de son accent de Marseille.

Nous avions d'autres point communs. Aucun goût pour la compétition avec les autres, quelle qu'elle soit. Avec nous-mêmes, pourquoi pas... Dans cette promo de sauvages, un goût pour les loisirs simples, comme les discussions entre amis, plutôt que les loisirs bruts et les beuveries collectives. Quelques difficultés aussi à aimer notre être, chacun à sa manière. J'achevais la lente acceptation de mon homosexualité en franchisant le pas physique, lui terminait l'acceptation de ses rondeurs. Bref, une paire intéressante (je suis invité à son mariage au mois de septembre)... Et qui mériterait d'autres détails, mais je voulais parler ici de regards que l'on avait portés sur moi. Celui qui suit, on l'a aussi posé sur lui.

 

Le prof principal de la promo s'appelait Monsieur Montagneux. Il était responsable de toute la partie végétale de l'enseignement. Nous avions donc affaire à lui de nombreuses heures. Une sommité dans son domaine, ingénieur horticole reconnu, auteur de plusieurs bouquins.
Ce petit bonhomme grassouillet, rondouillard jusque dans la forme des lunettes, volontiers rigolard, au cheveu se faisant rare, avait pourtant l'air insignifiant. Sous mon regard masculin de jeune adulte étudiant, il était plutôt agaçant.

La pédagogie n'était pas vraiment son fort... Du moins au sens strict. Car son moteur, pour enseigner, était la passion. Jamais lassé de nous promener autour des différents massifs d'agrément du lycée, de détailler chaque plante. De reconnaître au volume, à la hauteur, à l'implantation des feuilles, au positionnement des nervures, à la fructification, à la couleur du feuillage ou de l'écorce, chacun des végétaux, des annuelles et vivaces aux ligneux, au cultivar près, nous en donnant en latin et en français les différentes successions d'appellations dans le temps, les différentes appellations régionales. Même en hiver, on pouvait lui apporter un bout de bois, il savait de quel arbre ou arbuste il s'agissait. Et de nous dire encore de quel terrain il avait besoin, de quelle humidité, de quelle exposition, sa vitesse de pousse, de quels parasites il pouvait être la cible, et de nous proposer aussi avec quoi l'associer, dans des combinaisons bien plus complexes et variées que celles que nous avions sous les yeux, pour des résultats esthétiques en toute saison.

A ces balades dans le lycée et son arboretum, il ajouté des milliers de diapositives prises par ses soins dans tous les plus beaux jardins du monde et de France, les commentant sans notes, avec la même précision. Il nous a distribué la trace écrite de son savoir (dont le rythme était le point faible pédagogique) sous la forme de centaines de photocopies de tableaux conçus par lui, regroupant et classant toutes les informations citées précédemment, agrémentées de dessins de sa main, recensant pas loin de 30 000 espèces végétales naturelles et horticoles. J'ai toujours ces documents.

Et c'est ce petit bonhomme là qui nous avait affublés de deux qualificatifs. Un bruit de couloir, rapporté d'une conversation entre lui et la prof d'arts plastiques, mais bruit tout à fait crédible... Il nous estimait donc nonchalants et désinvoltes.
Geoffroy s'était plutôt énervé, à la marseillaise, de ce commentaire, dans notre dos. Moi, de sa part, je l'avais pris un peu à la rigolade, et ça ne me semblait pas si éloigné de la vérité. Maintenant... Etait-ce une critique positive, négative, objective ? En tous cas cet avis ne mettait pas en cause une partie de notre avenir, n'entrait pas dans le champ de l'évaluation...
Aujourd'hui, avec onze années de plus et un parcours, j'ai vérifié le sens des mots dans le dictionnaire. Je trouve que cette remarque était assez juste, empreinte d'une sorte de complémentarité contradictoire. Et je sais par expérience que cette attitude laisse rarement indifférent: on aime... ou on déteste...

Si je remonte encore un peu plus loin dans le temps, ma prof de français des quatre années de collège, m'a toujours incité à prendre garde aux interprétations auxquelles pouvait donner lieu mon attitude et les avis souvent tranchés (ne correspondant pas vraiment à mes interrogations) de mes dissertations, selon des inclinations qu'on n'attendait pas forcément d'un très bon élève à l'air sage... (j'espère que je n'écris pas de bêtises, elle a internet maintenant...!)
Aujourd'hui, dans notre correspondance, je m'autorise à sélectionner certains de ses mots, parce qu'ils réconfortent: original, rigoureux, ouvert et vif.

A suivre, bientôt, dans Ma Vallée Quotidienne, ce qu'on a dit de moi à l'IRTS, la semaine dernière...

Publicité
Commentaires
P
Très touché que tu apprennes en me lisant dans cette étude de moi-même, Pim's: pour moi, l'éducation spécialisée doit permettre aux personnes en difficulté de trouver leurs failles et leurs faiblesses, de faire de cet ensemble des atouts pour guider les choix. Et c'est très à l'envers de l'IRTS qui enseigne une théorie normalisante écrasant l'individu pour le conformer à la société (je ne vais plus avoir besoin de raconter ce foutu entretien !!). <br /> <br /> Sinon, chouette attitude aussi (un peu maso, non ?) de se frotter à ses lacunes, et d'apprendre dans les livres, comme une grande !<br /> <br /> J'aurais bien aimé connaître la fac.<br /> <br /> Oliv'
P
Ton anecdote m'en apprends beaucoup, et je m'amuse de constater qu'on a tous une façon différente d'appréhender les études : le tri. Etrange, mon tri sélectif à moi était tout autre. Je séchai les cours qui m'intéressait, je jugeais ne pas avoir besoin de les suivre et me contentait de bosser chez moi (ce qui me réussissait). Et les cours auxquels j'assistais étaient plutôt ceux qui ne me réussissait pas (par goût ou par... compréhension). Je m'obstinais à l'assiduité pour tenter de comprendre mes lacunes... Sans grand succès (au grand désarroi de mes profs...)<br /> <br /> Oh ! C'est sur, mon cursus était tout autre que le tiens : fac de maths, mécanique et informatique. Les seuls cours que je suivais assidument était la productique et l'électronique. Tout le reste... J'arrivais à me former toute seule dans les livres !<br /> <br /> C'est ce qui m'a plu à la fac : pouvoir gérer mon temps comme bon me semblait. C'est sur, je n'aurai pas pu faire a place en école d'ing, ou en iut ou en BTS (j'ai toujours eu en horreur qu'on soit derrière mon cul) !
P
sparadra, c'est le bon mot... encore plus pour l'IRTS que le BTS...!<br /> <br /> hautain(e), pas plus que ceux qui pensent savoir mieux que nous ce dont on a besoin.<br /> <br /> Merci de nous faire part de ce parcours, de ton analyse, et de cette très chouette attitude, que l'on retrouve dans tes textes.<br /> <br /> Oliv'
S
Malgré un parcours différent, je me retrouve un peu dans ce que tu écris. Dès la première année de fac (géographie avant de virer de bord), j'ai sélectionné les cours "à la carte". Je me présentais aux cours les plus intéressants (généralement donnés par des profs passionnés) et à ceux que je savais utiles, soit dans le programme, soit dans le coefficient. Mon objectif de départ était de faire de l'aménagement du territoire, donc le cours sur l'économie de la Chine n'ont pas laissé leur empreinte dans mon petit cerveau (par contre j'avais des cours de géomorphologie et de toponymie absolument passionnants donnés par des pointures et là j'aurais pu rester des journées entières à les écouter). Et ensuite j'ai fait la même chose avec l'anglais.<br /> <br /> Le problème avec les filières supérieures, c'est que la plupart du temps les étudiants ont tous des parcours différents mais qu'il n'y a qu'un seul programme. On peut certes choisir des options mais les blocs obligatoires ne sont pas forcément adaptés à tous. J'avais adopté l'attitude du "tri sélectif" par rapport à mes envies et mes projets futurs, considérant un peu hautainement que certaines matières n'étaient pas pour moi, ne m'étaient d'aucune utilité ou que je n'avais rien à apprendre des profs qui les enseignaient. Ca ne posait pas de problème parce que j'étais à la fac (ça en a posé lorsque je me suis retrouvée en école) mais je me doute que ton attitude n'a pas dû beaucoup plaire en BTS où, souvent, le fonctionnement est assez académique !
Publicité
Derniers commentaires
Publicité